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Mélanie Bonhivers,récemment promue Directeur de Recherche au CNRS,travaille dans notre UMR sur Trypanosomabruceiavec Derrick Robinson. Elle  a accepté de répondre à nos questions pour nous présenter son parcours, ses travaux actuels et plus largement l’état des recherches sur les trypanosomiases au plan mondial.

 

 

 

Mélanie, peux-tu nous présenter ton parcours ?

Après un bac scientifique à Paris, j’ai fait un DEUG de biophysique, une licence de biologie générale et une maitrise de physiologie et biophysique à l’université Pierre et Marie Curie à Paris. Ensuite, je suis partie faire un DEA de biophysique moléculaire à L’EMBL (European Molecular Biology Laboratory) en Allemagne à Heidelberg dans le groupe de Franc Pattus, dont je garde d’excellents souvenirs.

 J’ai fait ma thèse à Orsay où j’ai travaillé en biophysique moléculaire sur des protéines de bactériophages dans l’équipe de Lucienne Letellier. A l’issue de ma thèse, j’ai décidé de partir en stage post doctoral à l’étranger et de changer de sujet pour apprendre la biologie moléculaire et découvrir d’autres horizons scientifiques. J’ai été très bien accueillie dans le laboratoire de Peter Agre à Baltimore qui travaillait sur des canaux à eau, les aquaporines. J’y ai identifié et caractérisé les aquaporines chez la levure. J’y ai développé principalement des techniques de biologie moléculaire et également un peu de biologie cellulaire. C’était un laboratoire formidable et j’y ai appris beaucoup aussi bien scientifiquement qu’humainement ! Imaginez que votre directeur reçoit un Prix Nobel, ce qui a été le cas pour Peter AGRE qui a reçu en 2013  avec Roderick MacKinnon le prix Nobel de chimie « for discoveries concerning channels in cell membranes ». J’ai fait 2 années de postdoc financées par la France (INSERM et FRM), ce qui m’a laissé beaucoup de liberté puisque mon labo d’accueil n’avait pas à me financer, mais a permis que je participe à plusieurs congrès notamment en France.

A l’issue de ces 2 années, j’ai été recrutée en 1998 dans mon laboratoire de thèse à Orsay. J’ai ainsi poursuivi mon travail sur les bactériophages mais je n’arrivais pas à me projeter à long terme sur cette thématique. J’ai donc souhaité changer de sujet. En 2001, l’opportunité s’est présentée de changer de thématique en intégrant une nouvelle équipe sur Bordeaux. J’ai ainsi rejoint l’équipe de Derrick Robinson que j’avais rencontré lors de mon post doctorat et qui venait d’obtenir une ATIP pour développer son projet sur le cytosquelette des trypanosomes.

J’étais très attirée par la biologie cellulaire et j’ai pu apporter mes connaissances en biologie moléculaire pour développer le sujet de l’équipe. Après plusieurs années, je peux dire que je ne regrette pas ce choix.

 

Quelles sont les maladies dues aux trypanosomes africains? 

Tout d’abord, il y a les sous espèces Trypanosoma brucei gambiense et rhodesiense qui sont responsables chez l’homme de la trypanosomiase africaine (maladie du sommeil ou HAT) en Afrique Sub-Saharienne. Plusieurs autres sous-espèces telles que T. vivax et T. congolense sont responsables de la Nagana chez le bétail et sont un frein économique considérable pour le développement des pays affectés.

La maladie du sommeil est maintenant mieux contrôlée dans les villages. Un ensemble de recommandations sont données à la population pour se protéger des mouches et il y a aussi la mise en place de filets imprégnés d’insecticide qui sont installés dans différents points stratégiques des villages (notamment près des rivières) afin de contrôler la mouche Tsé-Tsé.

Aujourd’hui la contamination est assez contenue et en voie d’élimination (<1000 nouveaux cas sont déclarés par an), mais en cas d’instabilité politique, les recommandations et les contrôles sont malheureusement moins suivis. De plus les animaux sauvages représentent un réservoir difficile à contrôler et qui peut faire ressurgir la maladie à tout moment et sont un frein à l’éradication.

 

Peux-tu nous parler des recherches que vous menez dans votre équipe ?

Nous travaillons sur le cytosquelette de Trypanosoma brucei. Nous avons identifié BILBO1, la première protéine d’une structure en anneau à la base du flagelle (le collier de la poche flagellaire). Nous avons montré que BILBO1 est essentielle pour la biogenèse du collier et la survie du parasite. Plus récemment nous avons identifié plusieurs protéines partenaires de BILBO1 et qui interagissent entre elles.  Nous commençons à mettre en place un interactome, ce qui nous permet de comprendre comment cette structure se duplique et pourquoi elle est essentielle.

Notre collaboration avec le laboratoire de Gang Dong à Vienne a permis, après co-cristallisation, de montrer à haute résolution l’interaction de 2 protéines essentielles et d’identifier les résidus impliqués. L’étude de l’interaction entre des mutants de BILBO1 et de son partenaire par la technique de titration calorimétrique isotherme (ITC), et en collaboration avec le laboratoire viennois, nous a permis de mettre en évidence les résidus clef de l’interaction. Cette technique permet une étude quantitative des interactions protéine-protéine (ou des changements de conformation) par la mesure directe de la chaleur libérée ou absorbée durant un événement de liaison entre molécules. C’est une technique qui peut être complémentaire à d’autres techniques biophysiques telle que le dichroïsme circulaire par exemple. Elle permet d’apporter des informations sur la dynamique des protéines et requiert peu de matériel (mais les protéines ou fragments de protéines doivent être solubles !). Nous caractérisons actuellement in vivo et in cellulo l’effet des mutations de ces résidus.

Nous souhaitons prochainement cribler par AlphaScreen des banques de molécules pour trouver des inhibiteurs, in vitro, au niveau du collier de la poche flagellaire. Nous poursuivrons, ensuite en testant ces molécules in cellulo et in vivo.

Les études que nous développons dans l’équipe peuvent aussi être intéressantes pour d’autres pathologies dues à d’autres trypanosomes notamment Trypanosoma cruzi et Leishmania sp. qui sont respectivement responsables de la maladie de Chagas en Amérique du Sud, et des leishmanioses principalement dans le pourtour méditerranéen. En effet l’organisation et la plasticité de leur cytosquelette sont très similaires à celles de T. brucei.

Je trouve très intéressant de faire avancer un sujet peu étudié mais essentiel, ce qui est le cas de la trypanosomiase  africaine qui est une des maladie « peu rentable » sur le plan financier mais qui posent des problèmes importants de santé publique et de développement économique.

Il y a peu de sources de financements possibles pour nos recherches, mais pour le moment le LABEX ParaFrap (Alliance française contre les maladies parasitaires) et la dotation de base nous permettent de poursuivre nos recherches. Relativement peu de laboratoires travaillent sur le trypanosome en France mais grâce, notamment au LabEx, il y a une petite communauté scientifique bien vivante et active!.

Nous développons aussi l’axe « le trypanosome comme système modèle pour étudier les protéines du flagelle du spermatozoïde ». Des collaborateurs de l’Institut Cochin (A. Touré) et du CHU de Grenoble (P. Ray) ont identifié par séquençage d’exomes des mutations impliquées dans des défauts de structure du flagelle du spermatozoïde humain. Nous caractérisons les orthologues chez le trypanosome.

 

Quel est l’état des recherches sur ces maladies sur le plan mondial ?

Les traitements actuels contre T. brucei sont toxiques (notamment pour le stade II pour lequel le melarsoprol induit des encéphalopathies dans 5% des cas), ils sont compliqués à administrer sur le terrain (2 à  14 jours d’intraveineuse), et des résistances sont apparues. Cependant, depuis 2007 et grâce à un partenariat avec Sanofi et de nombreux partenaires, le DNDi (Drugs for Neglected Diseases Initiative) développe le fexinidazole. Cette molécule découverte par Hoechst en 1980 est efficace contre les stades I et II de la HAT. Contrairement aux traitements précédents, elle peut être administrée par voie orale. C’est une drogue très prometteuse pour traiter les infections dues à Trypanosoma brucei gambiense et actuellement l’élimination (mais pas l’éradication) de la trypanosomiase humaine africaine est espérée à l’horizon 2020. Il y a donc des avancées majeures qui sont le fruit de longs efforts sur le terrain et d’accords entre l’industrie pharmaceutique et les agences à but non lucratif et nous pourrions penser que « ça nous coupe un peu l’herbe sous le pied » par rapport à notre travail au laboratoire. Mais en réalité ce n’est pas le cas, car Trypanosoma brucei fait partie de la même famille de parasites que Trypanosoma cruzi et que les leishmanies. Et au niveau du cytosquelette, il y a des similitudes pour tous ces parasites.  Nos travaux sur Trypanosoma brucei pourront s’appliquer aux autres parasites. Nos travaux sur les protéines du cytosquelette communes à tous ces parasites devraient nous permettre de chercher des inhibiteurs potentiellement actifs chez les différents trypanosomes. De plus, l’éradication est difficilement envisageable de par le réservoir sauvage ; il est donc toujours nécessaire d’identifier de nouvelles cibles potentielles.

L’infertilité masculine touche plus de 20 millions de personnes dans le monde et représente un problème de santé publique majeur. L’asthénozoospermie (diminution de la mobilité spermatique) est impliquée dans près de 50% des cas et est souvent provoquée par des anomalies morphologiques des flagelles spermatiques.

L’identification et la caractérisation de mutations impliquées dans les défauts de morphologie du flagelle permet d’affiner les diagnostiques et d'orienter les patients vers la meilleure option thérapeutique. Par exemple, si la protéine défectueuse est impliquée dans la structure des flagelles et n'est pas associée à un défaut de la tête, l'ICSI (l'injection Intracytoplasmique (ICSI) est une technique de procréation assistée comprise dans le traitement de Fécondation in Vitro (FIV) qui a permis d'obtenir des grossesses chez des couples diagnostiqués avec un facteur masculin sévère) est susceptible d'être efficace. En outre, si la transmission est autosomique récessive, comme il s'agit d'une maladie rare, le risque pour la progéniture masculine de présenter des défauts du spermatozoïde similaires sera négligeable. Inversement, si l'action de la protéine est plus centrale et si elle interfère avec le centriole (dont est issu le flagelle), l'ICSI risque d'être inefficace. Les patients seront alors encouragés à envisager l'utilisation de sperme de donneur. Cela pourrait permettre d'éviter plusieurs tentatives inutiles d'ICSI, épargnant ainsi une lourde déception, du temps, de l'argent et un traitement inutile de superovulation.

 

Avez-vous des collaborations avec l’Afrique? 

Non, car nos recherches sont très fondamentales, elles ne peuvent pas être réalisées sur le terrain, la biologie cellulaire faisant appel à la microscopie électronique et à fluorescence et les appareils ne sont pas disponibles sur le terrain. Cependant lorsque nous aurons franchi le pas du crible de molécules, des collaborations devront être mises en place.

 

Souhaites-tu rajouter quelque chose ? 

Je souhaiterais adresser un message aux étudiants qui hésitent à faire une thèse…. Si vous êtes prêts à bouger, il faut y aller, ne pas hésiter. Il faut aller où se trouve le sujet qui vous intéresse. Dans ce métier passionnant, il est important d’être très mobile. Il est clair que le métier de chercheur peut être stressant, qu’il est fait de hauts et de bas. Un bon moral et une forte motivation sont nécessaires, et je reconnais qu’il est parfois difficile de mener de front le travail et la famille, entre autre à cause du temps passé sans compter au labo. Il faut donc le faire par passion

Mais c’est un métier que j’adore toujours après de nombreuses années (déjà !)!

Cette lettre est publiée par le comité de rédaction de la Newsletter de l'UMR5234

Pour toute question concernant cette lettre, écrivez à Christina Calmels.

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