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Doit-on craindre une nouvelle épidémie virale ?

 

Hervé Fleury a accepté de répondre à nos questions sur les viroses émergentes pour en décrire l’historique, l’état actuel et l’avenir possible. Il précise qu’il ne se considère pas comme un expert des virus émergents mais qu’il les a souvent rencontrés dans sa vie professionnelle. 

 

 

 

Hervé Fleury, PUPH, Chef du Pôle de Biologie du CHU de Bordeaux, co-responsable depuis 2010 du groupe « Variabilité et réplication des génomes viraux » au sein de l’UMR 5234.

 

Quelle est pour vous la définition d’un virus émergent ?

Un virus émergent est un virus qui crée des problèmes pathologiques nouveaux chez les patients. Dans les cours que je dispense à l’université, je ne dissocie jamais les virus ré-émergents qu’il ne faut pas oublier, des virus émergents nouvellement identifiés lors du passage du réservoir animal au réservoir humain

 

Quand avez-vous travaillé pour la première fois sur un virus émergent ?

J’ai effectué mon service militaire à Dakar en 1976-77, en coopération avec l’Institut Pasteur, au sein du laboratoire des arbovirus. Chaque jour, plusieurs dizaines de prélèvements étaient analysés pour rechercher différents virus dont Zika, West-Nile, Fièvre Jaune, Dengue, Wesselsbron (qui cause des encéphalites). Je ne savais pas que le virus Zika ferait de nouveau parler de lui.

En plus, je suis arrivé dans le service des arboviroses lors de la première épidémie d’Ebola au Zaïre, j’étais donc informé directement de son évolution.

Le diagnostic de ces virus était pris en charge par les laboratoires d’outremer notamment l’Institut Pasteur, car ce n’était pas une priorité en Europe. Il consistait à inoculer des souriceaux nouveau-nés, moyen classique pour les arbovirus, et à effectuer des sérologies, recherches d’anticorps. Par contre, il n’y avait aucun traitement.

Pendant mon service militaire, un événement m’a poussé vers les viroses émergentes, l’identification au Sénégal d’un Entérovirus émergent responsable de conjonctivites par une équipe japonaise de Tokyo. Il faut savoir que ce virus a ensuite migré vers le Moyen Orient notamment par les pèlerinages de la Mecque. 

J’ai été particulièrement sensibilisé par le Virus de Crimée-Congo qui est un virus important avec une grande répartition mondiale.

En 1991, j’ai été nommé directeur de l’UFR de médecine tropicale au sein de laquelle avec des médecins de Santé Navale, nous avons mené une étude de recherche d’anticorps au Cameroun contre les virus Congo-Rift, Ebola, Lassa et Marburg, grâce à une technique que j’avais apprise aux USA, dans le laboratoire P4 d’Atlanta.   

 

Quelles sont les raisons qui font qu'un virus "émerge"?

Trois phénomènes expliquent l’émergence d’un virus.

Le rapprochement de l’humain avec les réservoirs du virus, nombreux et variables (chauve-souris, moustiques, singes, cochons, oiseaux…) est une des premières raisons. Elle permet alors le passage facile et l’adaptation par réplication du virus, par exemple dans le cas du SIV qui est passé du singe à l’homme. Un autre exemple concerne le virus Ebola pour lequel l’homme a consommé la viande infectée.

Les modifications écologiques lors de l’accroissement de l’habitat humain sont également responsables de cette émergence, comme par exemple la déforestation dans la région indienne de Bangalore qui a permis le développement du virus responsable de la maladie de la Forêt de Kyanasur.

Le réchauffement climatique a également un impact sur l’émergence de nouveaux virus. Prenons le cas des virus de la Dengue ou du Chikungunya, en Aquitaine nous sommes en zone d’exposition car le vecteur aedes albopictus (moustique tigre) est présent maintenant. Si une personne rentrant des Antilles est contaminée, la chaine épidémique peut alors se mettre en place.

 

Par quels moyens les épidémies se propagent-elles?

Les déplacements humains ont accéléré les épidémies, surtout l’avion et cela va s’accentuer, la grippe en est la parfaite illustration. Lors de la dernière épidémie d’Ebola, la migration des humains à travers les frontières du Nigéria, de  la Sierra Leone et de la Guinée a été responsable de l’ampleur de l’infection, l’humain étant alors devenu le propre réservoir du virus.

 

Quel est l’épidémie de virus émergents qui vous a le plus marqué ?

Sans aucun doute, la pandémie mondiale HIV est la plus importante. A partir de 2001, au sein d’une vaste étude ANRS1257 en Asie et en Afrique, avec Françoise Barre-Sinoussi (Prix Nobel de médecine en 2008), notre laboratoire a étudié cette épidémie d’un point de vue épidémiologique et résistance.

J’ai également été surpris par la dernière épidémie d’Ebola qui a pris une ampleur que personne n’avait décrite et cela avec un impact majeur dans plusieurs pays (au total 28 616 cas confirmés, probables et suspects ont été notifiés en Guinée, au Libéria et en Sierra Leone, dont 11 310 décès entre 2014-2016).

 

Pensez-vous que la médecine et la science ont correctement répondu aux dernières vagues d’épidémie virale, par exemple dans le cas du virus Ebola ?

Contrairement à ce que certains disent, je trouve que globalement les épidémies sont bien maitrisées, notamment pour Ebola. Au pire, nous pourrions reprocher un retard dans la prise de décisions mais dans tous les cas le protocole appliqué est le même et c’est le bon, soit :

- appel aux ONG et aux hôpitaux

- isolement des malades infectés

- traitement en réanimation des malades (la mortalité chute de 90% à 50% dans le cas Ebola)

- changement des comportements, on peut citer par exemple le rite funéraire modifié pour Ebola ou l’hygiène des mains imposée en Chine lors du SRAS en 2003.

Par contre, certaines viroses pourraient avoir assez facilement un vaccin, comme le virus de la fièvre de Lassa. Pour Ebola, en 1984, le laboratoire P4 d’Atlanta travaillait déjà sur le vaccin. De même, l’obtention du vaccin contre le virus de la grippe aviaire s’avère plus difficile que l’obtention de celui contre la grippe saisonnière.

 

De quel virus doit-on actuellement ou à l’avenir se préoccuper ? Doit-on craindre une épidémie Zika ?

Le virus West-Nile pourrait prochainement arriver en Aquitaine. Il est actuellement sur la Grèce, la Roumanie et la Bulgarie et se dirige vers l’Europe de l’ouest. Les oiseaux sont le réservoir de ce virus et le moustique aedes albopictus dont j’ai parlé précédemment en est le vecteur. Dans 9 cas sur 10 l’infection est asymptomatique, mais elle peut être accompagnée de fièvre avec plus rarement une atteinte méningite.

Concernant le virus Zika, la seule crainte est l’atteinte fœtale mais elle est sérieuse et cela relève d’une priorité de Santé Publique que d’obtenir rapidement un vaccin.

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 West-Nile virus et moustique aedes albopictus

 

Sommes-nous prêts pour les prochaines vagues d’épidémie virale ?

Pour tout ce qui concerne les virus fléchés (Dengue, Chikungunya, Zika, West-Nile), nous sommes prêts d’un point de vue diagnostic et prise en charge des patients.

Un renforcement de l’arsenal vaccinal doit être envisagé, d’ailleurs nous observons dans plusieurs pays un développement de la Virologie Tropicale. Ainsi récemment un vaccin contre la Dengue a été obtenu.

La recherche fondamentale a une place majeure dans ce dispositif avec la mise au point de vaccins, la recherche de nouveaux antiviraux ou le test d’efficacité d’antiviraux déjà connus sur les virus émergents. Des chercheurs japonais ont ainsi identifié une molécule antigrippale efficace contre le virus Ebola.

Cette lettre est publiée par le comité de rédaction de la Newsletter de l'UMR5234

Pour toute question concernant cette lettre, écrivez à Christina Calmels.

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