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Karine Dementhon, maître de conférences au sein de l’équipe Candida and Pathogenicity, dirigée par Thierry Noël, nous parle des Organs-On-Chips (OOC) ou organes sur puces microfluidiques: une alternative aux modèles animaux

 

 

 

Le contexte. L'étude de la physiopathologie des levures Candida depuis une quinzaine d'années m'a amenée à m'intéresser aux modèles in vitro "statique" et au modèle murin. Si ces modèles biologiques "traditionnels" permettent largement d'avancer dans la compréhension des interactions hôtes-pathogènes, ils présentent des limites (Figure 1). Les modèles in vitro de culture en 2D ou 3D de cellules humaines sont généralement adaptés à un seul type cellulaire, ou ne récapitulent pas toutes les caractéristiques de leurs équivalents in vivo en terme de structure, fonction, contraintes mécaniques ou microenvironnement. Les modèles animaux sont systémiques mais ne prédisent pas parfaitement la physiologie humaine. Ils sont coûteux et fastidieux, et malgré l’existence de comités d’éthique, restent l’objet d’oppositions grandissantes. Actuellement, seule 1 molécule sur 10000 découvertes sera finalement approuvée par la FDA au coût dépassant les 1 milliard de dollars et d'une période de plus de 10 ans. Ce faible taux de succès reflète le besoin urgent de développer des modèles qui miment mieux le contexte in vivo, et donc plus prédictifs dans le développement de nouveaux médicaments.

Figure 1. Les différents modèles biologiques (Jackson and Lu, Integr Biol 2016, PMID 27156572).

 

Un modèle innovant. Depuis une dizaine d'années, les "organs-on-chips" (OOC) offrent le potentiel unique de se rapprocher de la physiologie humaine, en combinant la culture cellulaire en 3D compartimentée à la microfluidique. Ils sont le premier système d’étude in vitro dans lequel les cellules sont exposées à un flux sanguin continu (et éventuellement un péristaltisme), créant la plus petite unité fonctionnelle d’un organe donné. La puce contient une membrane centrale souple et poreuse de part et d’autre de laquelle peuvent adhérer deux types cellulaires, mimant l’interface tissu/tissu d’un organe humain (Figure 2). Chaque tissu est irrigué par un flux continu d’air ou de liquide circulant dans un circuit fermé relié à un compartiment d’entrée et de sortie. Ceci permet de contrôler le flux, d’ajouter des composants, et de quantifier les molécules sécrétées indépendamment pour chaque tissu. Les cellules humaines peuvent provenir de lignées commercialisées, ou de biopsies cancéreuses de divers tissus. Très récemment, des organoïdes humains intestinaux ont pu être générés à partir de cellules primaires de biopsies saines ou de cellules souches pluripotentes.

 

Figure 2. Exemple de micropuce (Emulate, Wyss Institute, adapté de Ingber, Development 2018, PMID 29776965).

 

La perfusion de milieu continu maintient la viabilité des cellules différenciées sur des périodes jamais permises jusqu’alors (plusieurs semaines), ouvrant la possibilité d’étudier de nouvelles interactions dans un contexte physiologique, pharmacologique ou pathologique. Quelques compagnies (dont Emulate, pionniers des OOC) commercialisent plusieurs modèles d'organes tels que poumon, intestin, peau, cerveau, qui ont prouvé leur potentiel à récapituler la physiologie ou la pathologie humaine aussi bien ou mieux que les modèles animaux. Ils sont également utilisés avec succès pour tester l'efficacité de médicaments, comme très récemment sur le SARS-CoV2. Les OOC sont compatibles avec un grand nombre de techniques d’analyse, comme la microscopie (fluorescence, confocale, microscopie électronique à balayage), l’analyse biochimique par prélèvement de milieu dans les compartiments de sortie, les multi-omics. Cependant, les modèles commercialisés à l’heure actuelle ne permettent pas un suivi et une acquisition d’images en temps réel des cellules sous flux.

 

Notre projet, un défi technique hautement interdisciplinaire! Notre objectif est de développer une nouvelle génération d'OOC couplée à une microscopie optique optimisée pour l'imagerie à haute résolution en temps réel (cellules maintenues sous perfusion prolongée). Ce projet permettra d'aborder de nouvelles questions biologiques comme la dynamique des processus infectieux, les interactions entre microbiome et épithélium, l'extravasation de cellules immunitaires à travers l'endothélium vasculaire. La nature même des OOC, à l'interface entre microfluidique, sciences des biomatériaux, imagerie, biologie cellulaire, et microbiologie, implique un travail en collaborations étroites avec les collègues experts dans ces domaines. Ce projet a pu débuter en octobre grâce à un financement du Collège des Ecoles Doctorales pour la thèse interdisciplinaire de Fernanda Lopez-Garcià. Nous avons la chance de travailler avec les équipes de Jacques Leng (LOF, Solvay, Pessac), Pierre Nassoy (BioImaging & Optofluidics”, Laboratoire de Photonique, Numérique et Nanosciences UMR-CNRS 5298, Institut d'Optique d'Aquitaine, Talence), Jean-Christophe Baret ("Soft Micro Systems" UMR-CNRS 5031, Centre de Recherche Paul Pascal, Pessac) et Hugo De Oliveira ("Art-Bioprinting", Laboratory for the Bioengineering of Tissues, INSERM-U1026, Bordeaux), sur un prototype d'intestin-sur-puce comme preuve de concept, avec l'étude de l'infection par Candida (Figure 3). Ensuite, d'autres organes pourront être développés, comme des poumons-sur-puce en collaboration avec Thomas Trian ("Remodelage bronchique", Centre de Recherche Cardio-thoracique de Bordeaux, INSERM-U1045), et Elisabeth Génot ("Physiopathologie de la circulation pulmonaire et systémique", Centre de Recherche Cardio-thoracique de Bordeaux, INSERM-U1045). Les OOC ouvrent des perspectives extraordinaires dans la recherche sur les maladies infectieuses, les maladies inflammatoires chroniques, le microbiote, le cancer, et compléteraient parfaitement les technologies de pointe telles que la Cellular Capsule Technology (BiOf-LP2N and TreeFrog Therapeutics) et le Bioprinting (Biotiss) déjà établies sur Bordeaux.

 

Figure 3. Un prototype d'intestin-sur-puce (adapté de Bein et al. Cell Mol Gastroenterol Hepatol 2018, PMID 29713674).

Cette lettre est publiée par le comité de rédaction de la Newsletter de l'UMR5234

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